Interview:1984-Art Rock

Pourriez- vous vous présenter ?

Dug: Tony, bass, chant. Richard, synthé, chant. Dug, drums, chant. Pat, drums, trompette, chant. Pat ne vient pas. Il ne veut pas parler, ce que je comprends, vu la journée d’hier. Déprimante.

Quelle est l’histoire de Death in June ?

Dug: Eh bien, deux d’entre nous viennent de Crisis (Tony – Dug). On a joué ensemble pendant un petit moment, puis nous avons splitté. Nous sommes partis dans plusieurs directions: Death in June – Theatre of Hate.

Sur quelles bases vous êtes-vous formes ? Juste pour la musique ou aussi pour faire passer un messape ?

Dug: C’est difficile d’expliquer pourquoi, mais nous sentions que ça devait être fait. On nous a souvent posé la question ces derniers temps, je crois que nous ne sommes pas heureux quand nous ne créons pas. Chacun porte un jugement de valeur différent sur la qualité de cette création. Chaque groupe a ses raisons, pour nous c’est être heureux.

Tony: Peut-être dans la société industrielle existe-t-il le rapport avec la mort, mais au dessus il y a le coté spirituel de cette fascination.

Dug: Peut-être qu’inconsciemment nous sommes le reflet d’une tendance qui traverse la population. Nous vivons des temps pacifistes. C’est quelque chose que nous partageons tous et auquel nous devons tous faire face, puisqu’il s’agit de notre vie et de notre destin.

Oui, mais vous réalisez l’ambiguïté de ce que vous montrez ? Votre façon d’agir n’est vraiment pas claire pour nous.

Dug: Tu nous as déjà vus ?

Non, mais j’en ai entendu parler.

Dug: Oui, qu’as-tu entendu dire ? Tu sais, parfois les choses sont racontées d’une manière assez fantastique et exagérée. La manière dont nous nous présentons est acceptée par les gens comme nous l’entendons, ou ne l’est pas. Ça dépend d’eux.

Que penseriez-vous si un groupuscule fasciste venait vous voir ce soir. Ça vous est égal ?

Tony: Oui.

Dug: Je ne pense pas qu’ils viendraient. Pourquoi le feraient-ils ? Et même s’ils venaient, un groupe, est-ce un parti ou des individus ?

Vous savez que vous avez une certaine image qui choque beaucoup ?

Dug: Oui, mais dans quelle mesure dis-tu ça ? C’est quelque chose qui nous attire. Nous présentons une image très forte autant du coté du beau que du coté laid de la chose.

Quel est le coté esthétique pour vous de ce signe à tête de mort ?

Dug: Pourquoi ? N’es-tu pas fasciné par la mort ?

Non, pas vraiment, enfin comme tout le monde, ce que je veux dire, c’est que ce signe c’est l’emblème SS de l’armée belge.

Dug: Non, c’est juste une tête de mort. Ça peut-être l’emblème SS belge ou bien l’emblème d’un régiment anglais. C’est avant tout un emblème européen. C’est la vérité, nous sommes attirés et même fascinés par la mort, nous ne faisons qu’en prendre conscience.

Avez-vous entendu, parler de “Death and Beauty Fundation”?

Dug: Death and Beauty Fundation?

Ils ont dit que nous étions des hippies des années 80 et que de même que les hippies des années 60 parlaient d’amour et de paix, les hippies des années 80 parlent de guerre et de mort. Ils essaient de dire que la fascination de la mort vient de notre époque ; l’ère industrielle qui prend le dessus sur notre personnalité, c’est pour cela que nous sommes fascinés par notre mort, qui pourrait donc être la mort de l’humanité. En tant qu’individus, quelles sont vos opinions politiques ?

Dug: Je ne suis pas intéressé par la politique de masse qui ne mène nulle part, Le seul intérêt que j’ai pu y porter était dans l’extrême gauche. Je m’intéresse à la politique des individus. Je me sens concerné par mes proches, ce qui se passe hors de ces limites me concerne, mais ne prend pas une ampleur prépondérante. L’Amérique et l’URSS sont aussi mauvais l’un que l’autre. Pour moi, ce ne sont que deux ailles qui se disputent le monde.

J’ai entendu dire que lors de votre passage à Lyon vous aviez essayé de prendre contact avec Klaus Barbie ?

Dug: C’est stupide (Rires). Voilà un exemple des conneries que l’on raconte !

Pourtant, ça veut dire quelque chose, si les gens parlent ce n’est pas un hasard ?

Dug: Nous avons fait ce soir là une nouvelle chanson intitulée K. Barbie, cela vient peut-être de là.

Je vois aussi une fascination pour l’armée. En France nous avons un sentiment différent sur l’armée, car contrairement à vous, nous devons faire le service militaire. Certaines de vos chansons ressemblent fortement à des chants militaires ?

Dug: Parce que c’est quelque chose de très émotionnel, personne ne le niera. Il n’y a pas de doute que certaines de nos chansons sont comme des marches, avec cette âme particulière et cette esthétique. Cette fascination pour l’armée est un des goints qui nous relient, peut-être parce que nous avons été élevés dans une zone militaire, ça vient peut-être de là ?

Tony: Moi je ne sais pas. Ce n’est pas nécessairement une glorification, mais bien plutôt le fait d’une discipline interne et d’une force, plutôt que les fanions et tout le tralala.

C’est une provocation ?

Dug: Non, pas vraiment. Je ne provoque personne, je le fais parce que je pense que c’est joli et que je m’y sens bien.

Mais ça ne vous dérange pas que les gens pensent que vous aimeriez rencontrer Klaus Barbie, ou que vous êtes fasciste ?

Dug: Non, parce que si ils veulent penser de cette façon, je ne peux rien y faire. Les choses sont servies sur un plateau trop facilement, et les gens ne pensent pas assez par eux-mêmes. Ils prennent les choses en surface quand ils devraient creuser. Moi-même, je me pose des questions.

Tony: Pourquoi devrions-nous monter sur scène pour prouver ou pour donner notre opinion. Si ils n’aiment pas, ils n’ont qu’à partir.

Dug: Nous venons de Crisis qui avait une étiquette communiste militante si forte que c’était restrictif. Nous rejetons ça maintenant, mais ce pourquoi nous luttions était évident. Nous avons fait des bénéfices au profit des partis politiques, Ça suffit ! Ça a assez duré ! Les gens souhaitent penser, et si ils se posent des questions, ils peuvent obtenir des réponses, mais il n’y a pas de réponses garanties, nous n’en revendiquons aucune.

Dans la chanson “Drive East”, vous faites référence aux bourreaux, quelle est l’importance du bourreau et du condamné ?

Dug: “We Drive East” est l’amalgame de deux chansons. Patrick, le batteur, a amené une chanson, et Tony a apporté l’autre. Nous avons combiné les deux. Je ne suis pas sûr de l’interprétation a lui donner, ça peut être l’invasion de l’URSS par les troupes hitlériennes, et ça peut être tout aussi bien comme tu le dis le rapport du bourreau/condamné.

Tony: C’est une chanson qui raconte l’engouement des troupes qui avaient suivi Hitler dans l’invasion communiste, et qui moururent sous ses ordres. C’est plus ça que le rapport bourreau/condamné.

Crisis était un groupe militant, qu’en est-il pour Death in June ?

Dug: Non ! Nous ne sommes pas politiques. Nous sommes des individus, chacun pense différemment dans le groupe.

Donc vous êtes des individus à part entière, et vous avez des options différentes ?

Tony: Oui, il y a des choses sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord.

Comment les gens doivent-ils réagir à vos concerts ?

Dug: II faut qu’ils nous aiment. (Rires). Ils n’ont qu’à réagir comme ils veulent, sinon c’est encore leur dire ce qu’il faut faire.

Vous leur offrez une image, ils la prennent ou ils la laissent.

Dug: C’est une musique difficile à écouter, par exemple, en Angleterre, il y avait peu de gens qui dansaient et appréciaient nos concerts.

L’impact de votre show appelle une réaction du public. Laquelle préférez-vous ?

Dug: Ce qui me préoccupe, c’est de faire le mieux possible.

Vous ne jouez pas pour vous seuls quand même ?

Dug: Si. C’est ce qu’il y a de plus satisfaisant.

Donc, tant pis pour les gens ?

Tony: Non, parce que si nous, jouons bien (?)… et puis si nous étions aimés par tous, nous jouerions de la soupe. Je ne vais pas aller chercher les idiots dans la rue, je n’ai aucune envie de jouer du Country Western.

Dug: Donner le meilleur de nous-mêmes c’est donner l’occasion au public de nous apprécier à notre juste valeur, mais ce n’est certes pas le rejeter.

Quels sont vos projets ?

Dug: Death in June va faire du nouveau. Ce soir, c’est la fin du Death in June actuel. Nous allons restructurer l’instrumental du groupe et la présentation visuelle sous cette forme, faire plus de studio. Nous allons sortir un LP avant d’envisager de refaire de la scène, ce sera plus mélodique et plus climatique.

Que représente pour vous ce passage en France ?

Dug: Nous en avions très envie.

Vous avez dit ne plus avoir grand chose à faire avec l’Angleterre ?

Dug: Comme je l’ai dit, quand nous rentrerons, nous travaillerons. Plus de studio, c’est ce qui nous semble le plus important.

Tony : Nous ne voulons plus faire un concert pour faire un concert, mais pour créer un événement, en faire quelque chose de spécial.

Parlez-nous de New European Records ?

Dug: C’est notre label, nous le dirigeons avec des amis dans le but de produire de nouveaux groupes européens et de mieux rentrer dans le monde européen.

Pourquoi toujours l’Europe ?

Dug: Parce que c’est là que réside notre identité. Vous savez, maintenant, de plus en plus d’Anglais se sentent européens, II n’y a plus cette barrière qu’il y avalt avant entre le continent et l’Angleterre, et c’est là que réside le futur, dans une Europe plus forte et plus unie.

Tony: C’est comme une alternative entre les Etats-Unis et la Russie, nous voulons arrêter ça, nous pensons que c’est dans l’Europe que réside la nouvelle force. Sinon, nous serons détruits.

Dug: Nous sommes très intéressés par la culture européenne et son héritage qui est fantastique.

A propos, quelles sont vos bases culturelles et familiales ?

Dug: Nous sommes d’origine prolétarienne.

Comment avez-vous grandi ?

Dug: Maman m’a donné du lait !

Tony: Je n’ai pas été au collège.

Dug: Moi, au collège technique.

Travaillez-vous ?

Dug: Oui.

Que faites-vous en dehors de la musique (pour manger) ?

Tony: Je suis jardinier.

Dug: Je travaille chez Rough Trade.

Richard: Je travaille occasionnellement.

Vous ne vivez pas de votre musique ? Etes-vous bien distribués ?

Dug: Oui pour un label indépendant. Notament par Rough Trade et New Rose en France, mais nous n’avons pas encore percé, nous restons un groupe mineur.

A combien vendez-vous ?

Dug: Ça ne te regarde pas ! Nous avons fait un maxi 45T qui a été réédité – 1 LP, mais nous aimerions vendre à plus de 10.000.

Tony: 10.000 c’est le nombre magique.

Dug: C’est la qualité, pas la quantité.

Oui, mais ça doit être agréable de savoir qu’on se vend bien et qu’on est écouté.

Dug: …oui !

De quelles villes venez-vous ?

Dug: Du sud de Londres.

Comment vous situez-vous idéologiquement ?

Tony: J’ai été élevé dans un milieu gauchiste, où quand on travaille on est pour l’URSS, et quand, on est dirigeant, on est pour les Etats-Unis.

Un peu simpliste, non ?

Tony: Oui, mais c’est ainsi que l’anglais moyen conçoit la chose. Dans les deux, il y a du bon et du mauvais. C’est valable pour le syndicalisme. Je ne voudrais pas qu’on m’étiquette.

Dans quel pays aimeriez-vous vivre ?

Tony: Je ne sais pas si il en existe un.

Où ne voudriez-vous pas vivre ?

Tony: Les Etats-Unis. J’aimerais visiter l’URSS mais pas y vivre.

Et le Japon ?

Dug: Ils ont une grande force de caractère, c’est une nation d’honneur.

Tony: J’éprouve du respect pour l’ancien Japon, mais je pense que maintenant c’est devenu une sous-Amérique. Partout où l’Amérique va, elle détruit les bonnes traditions pour en instaurer de mauvaises.

Dug: Je pense que le Japon a malgré tout su garder son identité propre.

Avez-vous été à Berlin ?

Dug: Oui, mais nous n’y avons pas joué.

Vous avez aimé ?

Dug: Oui, mais l’atmosphère y est étrange.

Et toi. Richard, quelle est ta vie idéale ?

Richard: Ne pas travailler, faire juste les choses que j’aime faire, c’est cela la vie !

Death in June est un groupe ambigu (provocatrice, politique, leur musique demeure imprégnée des deux). Ils jouent sur des symboles explosifs, mais n’est-ce pas là une puissance ? Leur musique reste empreinte de la rigidité martiale qu’ils brandissent, Provocation ou politique, c’est à vous de coller votre étiquette. A la suite de cette tournée en France, le personnel de Death in June a subi quelques changements : Tony, le bassiste a quitté le groupe, et Chris (diapos, films, visuel…) en fait désormais partie à part entière. Pour moi, ils gardent cette image floue et brûlante que l’on, retrouve au dos de la pochette de leur mini LP “Constant Unease”, ce que je traduirais par “malaise constant”. Vous ne serez pas sans avoir noté une certaine coloration politique dans cette interview. Celle-ci revient aux personnes avec qui cette interview a été co-réalisée.

Propos recueillis par Olivier A et et Radio Libertaire

Loading